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A la recherche de l'Énergie sombre, avec des neutrons

  • Il n'est pas toujours nécessaire d'avoir un immense accélérateur pour faire de la physique des particules. 
  • Une expérience  réalisée avec des neutrons a permis de tester la validité de la loi de la gravitation de Newton via une nouvelle méthode avec une très grande précision. Ces travaux fixent des limites pour d'éventuelles nouvelles particules ou forces fondamentales à découvrir, qui sont cent mille fois plus restrictives que les estimations précédentes. 
  • La spectroscopie de résonance gravitationnelle, une méthode développée à l'Université de Technologie de Vienne  et à l'Institut Laue-Langevin de Grenoble, est si sensible qu'elle peut maintenant être utilisée pour rechercher la Matière Noire et l'Énergie Sombre.  

Toutes les particules que nous connaissons ne représentent que cinq pourcent de la masse et de l'énergie de l'univers.  Le reste - la « matière noire »et l' « énergie sombre »  – reste mystérieux.  Une collaboration européenne, menée par des chercheurs de l'Université de Technologie de Vienne, a réalisé à l'Institut Laue-Langevin (ILL) à Grenoble des mesures extrêmement précises des effets gravitationnels à très courtes distances.

Des particules encore  à découvrir ?

La matière noire est invisible mais elle agit sur la matière par sa force d'attraction gravitationnelle,  influençant ainsi la rotation des galaxies. Pour sa part, la matière noire est responsable de l'expansion accélérée de l'univers. Elle peut être décrite en introduisant une nouvelle quantité physique, la Constante Cosmologique d'Albert Einstein.  Par ailleurs, des théories alternatives ont été avancées appelées les théories de la quintessence : “Après tout, il est possible que l'espace vide ne le soit pas complètement, mais qu’il soit imprégné par un champ inconnu, similaire au champ de Higgs" a déclaré le Professeur Hartmut Abele (TU Vienne), directeur de l' « Atominstitut » et qui dirige le groupe de recherche. Ces théories doivent leur nom à la “quintessence” d'Aristote – un cinquième élément hypothétique, en plus des quatre éléments classiques de la philosophie de la Grèce antique.
Si de nouvelles sortes de particules ou de forces additionnelles de la nature existaient, il devrait être possible de les observer, ici, sur terre.  Tobias Jenke et Hartmut Abele de l'Université de Technologie de Vienne ont développé un instrument extrêmement sensible qu'ils ont utilisé avec leurs collègues à la source de neutrons de l’ILL à Grenoble pour étudier les forces gravitationnelles. Les neutrons sont parfaitement adaptés pour ce genre de recherche.  Ils ne sont pas chargés électriquement et sont difficilement polarisables.  Dans cette expérience, ils sont uniquement influencés par la gravitation et, peut-être, par des forces additionnelles encore inconnues. Des calculs théoriques analysant le comportement des neutrons ont été effectués par Larisa Chizhova, le Professeur Stefan Rotter et le Professeur Joachim Burgdörfer (TU Vienne). U. Schmidt de l'Université d'Heidelberg et T. Lauer de l'Université de Technologie de Munich ont contribué à l’analyse de polarisation. 

Forces à petites distances

Le dispositif que l’équipe a mis au point utilise des neutrons ultra froids qui proviennent de la source continue de neutrons ultra froids la plus puissante au monde, l'ILL à Grenoble, et les injecte entre deux plaques parallèles.  Selon la théorie quantique, les neutrons ne peuvent occuper que des états quantiques discrets avec des énergies qui dépendent de la force que la  gravitation exerce sur la particule.  En faisant osciller les deux plaques l’une par rapport à l’autre, l'état quantique du neutron peut être basculé.  Il est ainsi possible de mesurer la différence entre les niveaux d'énergie.  
« Cette étude est une étape importante vers la modélisation des interactions  gravitationnelles à très courtes distances. Les neutrons ultrafroids produits à l'ILL associés aux dispositifs de mesure de l'Université de Vienne sont les meilleurs outils au monde pour étudier les déviations minuscules prédites par la gravitation pure de Newton », a déclaré Peter Geltenbort (ILL Grenoble).
Différents paramètres déterminent le niveau de précision nécessaire pour trouver ces déviations minuscules – par exemple, la constante de couplage entre d'hypothétiques nouveaux champs et la matière que nous connaissons.  D'autres mesures de haute précision effectuées précédemment ont permis d'exclure certaines valeurs de paramètre pour la constante de couplage des  particules ou forces de quintessence. Mais toutes les expériences précédentes ont laissé une vaste gamme de paramètres dans laquelle de nouveaux phénomènes physiques non-newtoniens pourraient se cacher.

Cent mille fois mieux que les autres méthodes 

La nouvelle méthode neutronique permet de tester des théories dans ces paramètres.  « Nous n'avons encore détecté aucune déviation de la loi bien établie de la gravitation newtonienne  »a déclaré Hartmut Abele.  « Par conséquent, nous pouvons exclure une nouvelle gamme de paramètres ».  Ces mesures déterminent une nouvelle limite pour la  constante de couplage, qui est inférieure d'un facteur cent mille aux limites établies par d'autres méthodes.  
Même si ces mesures réfutent l'existence de certaines particules de quintessence, la quête continuera car il est possible qu'une nouvelle physique puisse être trouvée en dessous de ce nouveau niveau de précision.  Par conséquent, il faudra encore améliorer la spectroscopie de résonance gravitationnelle : une augmentation supplémentaire de quelques ordres de grandeur semble possible selon l'équipe du Professeur Abele. Et si ces nouveaux travaux n'apportent aucune preuve de déviations de forces connues, cela serait une nouvelle victoire pour Albert Einstein : sa constante cosmologique apparaitrait alors de plus en plus plausible. 


Re.: Phys. Rev. Lett. 112, 151105 (2014)

Contact: Dr Peter Geltenbort, +33 4 76 20 72 42


Note aux rédacteurs

A propos de l'ILL – l’Institut Laue-Langevin (ILL) est un centre de recherche international basé à Grenoble. Depuis sa création il est leader mondial des sciences et technologies neutroniques. L’ILL exploite l’une des sources de neutrons les plus intenses au monde, fournissant des faisceaux de neutrons à une suite de 40 instruments scientifiques très performants et perfectionnés en permanence. Chaque année, 1200 scientifiques venus de plus de 30 pays du monde visitent l’ILL (quelque 2000 visites en tout.). Les recherches sont multidisciplinaires : physique de la matière condensée, chimie (verte), biologie, physique nucléaire ou science des matériaux. Les trois quarts du budget de l'institut sont fournis par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.